Guillaume Désanges
Curator and art critic
Presents
Lauren Tortil
Le travail à la fois formel et érudit de Lauren Tortil part d’une recherche généalogique non exhaustive sur les « grandes oreilles », ces dispositifs militaires d’écoute à distance hérités des technologies de guerre du XXesiècle. Leurs formes fascinantes renvoient à un imaginaire proche de la science-fiction et de l’espionnage, relevant d’un intérêt pour le rétro-futurisme, ces formes d’anticipation utopique du passé. Cette étude documentaire et théorique est à la base d’un travail plastique que l’artiste développe sous la forme d’installations sonores, films, éditions ou sculptures. De fait, c’est d’abord la forme spécifique de ces reliques technologiques qui intrigue l’artiste, à travers une démarche iconographique fondée, un peu comme chez l’historien d’art Aby Warburg, sur des motifs formels. En résulte une collection personnelle, ni scientifique ni réellement chronologique, associant images militaires, peintures fantastiques, archéologie et projets scientifiques parfois improbables. Certains, comme ces immenses miroirs acoustiques de béton créés pour la Royal Air Force britannique pendant la première guerre mondiale ont d’indéniables qualités sculpturales, entre abstraction géométrique, architectures utopiques et expérimentations formelles modernistes de type Bauhaus. Replaçant ces images dans un dispositif littéraire, son projet le plus récent prend la forme d’une correspondance fictive entre l’inventeur du stéthoscope au XIXesiècle, un agent de l’armée américaine durant la guerre froide et un informaticien de la DGSE d’aujourd’hui. De fait, plutôt que de tenir un discours sur la surveillance, les œuvres de Lauren Tortil placent le spectateur dans des expériences sensorielles et fictionnelles. Pointant la part de mystère qui entoure aujourd’hui ces fossiles militaires et politiques abandonnés, elle propose un retournement de situation avec effet miroir : comme s’il s’agissait de surveiller les dispositifs de surveillance et d’écouter les capteurs sonores eux-mêmes, afin qu’ils nous renvoient à leur tour les signaux fragmentés d’histoires transmises à distance, non plus géographique mais historique.